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On frappa à la porte. Un collaborateur entra sans se soucier de nous et se dirigea vers son supérieur, un téléphone à la main. Sans prendre congé de moi, ni d’un quelconque usage de politesse en public, le président de l’Assemblée nationale prit l’appel sans émettre de phrases construites, juste quelques « faites le nécessaire », « vous avez mon accord », venaient ponctuer ses propos. Un document tomba à terre. Je n’y aurais pas porté attention sans l’empressement de l’assistant à vouloir le ramasser pour en dissimuler l’en-tête de l’Élysée. À son tour, son chef de cabinet pénétra dans la pièce. La tension était palpable. Le ministre échangea un regard interrogatif avec son subordonné qui lui répondit d’un simple non de la tête pour le rassurer.
Un court instant plus tard, la sécurité nous ordonna de nous regrouper dans un salon adjacent empli de parlementaires de toutes nationalités. Les téléphones se mirent à sonner simultanément, même le mien. Le timing était propice à la faille de sécurité. J’aperçus mon voisin introduire dans la poche de veston du chef de cabinet un petit appareil, je supputais un dispositif d’écoute et d’enregistrement à distance passé inaperçu aux détecteurs. D’un geste patriotique, je pris la décision de le récupérer par le même stratagème avant de me diriger vers le ministre en tournant le dos à la délégation-espionne.
— Ne vous retournez pas, regardez mes mains, monsieur le ministre. Voici un dispositif mis en place par la délégation ukrainienne que j’ai retiré de la poche de votre adjoint.
Le président ne sembla pas décontenancé : « parfait, je m’en occupe » furent ses seuls mots avant de le glisser à son tour, discrétement, dans l’une de ses poches, en me tapotant sur l’épaule.
Le délégué ukrainien en profita pour engager la conversation avec le ministre. Leurs échanges se firent à voix basse, presque d’oreille à oreille. À chaque fois que le ministre levait la tête, je devinais son agacement. Il clôtura l’échange sur un ton haut en souriant par un « quelles belles traditions vous me contez là, cher ami ». Décidément, les ronds de jambe de ces faux-culs ne sont pas ma tasse de thé et vont à l’encontre de ma façon d’agir en toute discrétion. En me retournant, je sentis le regard appuyé du messager de Kiev envers son homologue du Kremlin. Que faisaient dans la même pièce ces deux-là ?
Le russe fendit la foule en repoussant les visiteurs de la main afin de s’approcher du ministre à son tour. Deux agents de sécurité s’interposèrent. L’homme infligea à l’un d’eux une petite tape sur son torse avant de reculer à pas lents, puis de retourner là d’où il venait. J’entendis les ricanements de l’ukrainien, ce qui n’alla pas dans le sens de la réconciliation. Le colosse de Sébastopol grommela et fit volte-face. Son visage émacié, buriné par l’alcool se durcit un peu plus, comme si cela était possible. Il laissa échapper dans un français des plus correct quelques mots d’une voix posée et grave :
— Vous n’aurez jamais la Crimée, même s’il fallait y laisser un million d’hommes. Gare à ceux qui s’interposent, nous frapperons fort les nazis et tous ceux qui les aideront, jusque dans leurs bunkers.
À ces mots, les agents de sécurité ouvrirent leur veston, laissant apparaitre leur arme.
— Allons, messieurs, sans doute un souci de traduction ou de coutumes, allons !
La sirène retentit, l’alerte était passée. Chacun regagna son bureau ou son salon, le ministre prétexta une affaire urgente pour s’éclipser, probablement pour rendre-compte à la Présidence.
Un vent froid de Sibérie venait de souffler au sein même des bureaux du ministre de l’Assemblée nationale française. Il ne laissait présager rien de bon. Décidément, ma liste de méchants s’allongeait.
