L’Agent L de la DGSI
(extrait de Complot à l’Elysée)
Les premières attaques en France avaient été avancées, je ne sais pourquoi. Cela ne plaisait pas au leader de la cellule. C’était difficile de collecter les infos et de rendre-compte. Durant la nuit, le téléphone du boss sonna. Nous voilà en mouvement jusqu’à la Maison des Provinces de France dans un logement d’étudiants, à deux pas de la Cité Internationale Universitaire de Paris.
Le lieu me permettait d’accrocher une boite aux lettres dans le quartier du parc de Montsouris, dans le XIVe arrondissement. Un attaché spécial de la DGSE, rencontré un jour par hasard, m’avait parlé des réseaux de recrutements dans la capitale. J’envisageais également d’approcher un agent de la division K ou d’une équipe L de la DGSI. J’avais plus de chance d’être accroché par un agent du Service Action de la DGSE. Le pays était en alerte, Paris ressemblait à Berlin en 1989 avant la chute du mur. Tout le monde était suspect, les espions voulaient rentrer chez eux. Je réfléchissais au message et comment le diffuser. Je ne savais pas encore pour les coups de filet, ni le voyage à Lille de la Présidente. Je sentais bien que le plan millimétré des terroristes, préparé de longue date, avait changé. J’échafaudais des hypothèses : les catacombes c’est à la station suivante (un peu trop téléphoné), nous avons ensuite des grands hôpitaux (il aurait fallu une logistique plus importante), la Grande Mosquée de Paris (impensable, ce n’était pas des musulmans), le Panthéon, la Sorbonne, le Palais du Luxembourg (symboles nationaux : c’est tout à fait crédible), la Cathédrale Notre-Dame (non !).
La seconde équipe nous rejoignit au petit matin et amena le petit déjeuner. Ça sentait l’improvisation à plein nez. Une équipe parisienne s’était fait prendre sur les quais de Seine. Sa mission consistait à incendier des bateaux-mouches, des péniches, des tavernes. En bref, ils s’attaquaient aux symboles touristiques et à l’économie. À mon sens, ce n’étaient que les pétards avant le feu d’artifice.
Vers midi, nous avions reçu le feu vert de l’Autorité pour agir. Impossible d’accéder à son téléphone, ni de le cloner, je n’avais pas le matos avec moi. Je devais agir à l’ancienne. Ce que je n’avais pas envisagé, c’étaient les souterrains et les réservoirs d’eau de Montsouris.
Le chef nous annonça que les biologistes et les artificiers avaient été arrêtés au petit matin. Nous devions improviser, pour la Cause. Je n’étais jamais descendu dans les souterrains mais je savais qu’ils étaient truffés de caméras, capteurs et dispositifs anti-intrusion. Le tout, relié à coup sûr à un PC ultra informatisé et à la Police. Un Ocean 11 à la con qui va foirer ! Ma mission, puisque je l’avais acceptée, était de renseigner un contact, en aucune manière la Police, et de laisser se dérouler l’opération, jusqu’à ce qu’on nous capture.
Nous voilà en route, avec les trois hommes de l’équipe 2, en direction du parc boisé. Nos tenues attiraient l’attention des flâneurs. Des cantonniers marchant à pas décidé en gilets jaunes, un dimanche midi, à Paris, avec des sacs à dos ? Y’a mieux comme couverture pour des terroristes ! Je cherchais du regard mon contact, tout en restant le plus discret possible et commençais à penser que la puce indétectable, l’était même pour la DGSE ! Un message n’aurait pas été possible. Le plus simple semblait la langue des signes ou le mime. Un instant plus tard, c’est devant le Théâtre de Guignol que nous stoppons. Franchement ? On va rejouer la Grande Vadrouille ? Ils me prennent pour Bourvil ou quoi ? Le théâtre est petit. L’arche blanche n’est pas éclairée et il est fermé. Finalement, le bon plan. Le boss sort la clé, nous entrons. J’ai noté tout de même qu’il y avait une séance en début d’après-midi, pas le temps de pique-niquer ! Nous laissons là l’autre groupe et nous dirigeons vers une jolie ruelle pentue aux maisons colorées avec des volets en bois. Un taxi anglais stationnait devant l’une d’elle. C’est devant celle-ci que notre chef nous fait entrer. Une charmante voisine nous sourit, j’en fis autant.
— Bonjour !
— BONJOUR, répondis-je, avec un accent anglais.
Là, les Serbes me toisent un instant.
C’est une location. À part des sandwichs et des bières, on n’avait rien. Moi j’avais la dalle, pas eux. Un gars sort un piolet et soulève le coin d’une grande dalle de la salle à manger, puis une autre, encore une, et retourne presque toute la pièce. Il cherche l’entrée d’une bouche d’accès ancienne. En reprenant le plan amené par son boss, il s’aperçoit qu’il est à l’envers. Terroriste du dimanche va ! On va se faire repérer avec tout ce vacarme ! Je propose de mettre la télé, ce que fait le boss, grimaçant. Il n’y avait pas pensé. Une autre heure passe, la cuisine à l’américaine est devenue une tranchée du Chemin des Dames. Moi j’ai toujours la dalle ! Les terroristes ne mangent et ne vont jamais aux toilettes ! Eh bien, moi si. Je décide de m’asseoir et de casser la croûte. Je demande au boss si je pouvais manger dehors, pour écouter si nous faisions du bruit, et pour monter la garde. Il accepte. La voisine est dans son jardin et appelle son chien. Moi, je ne vois pas de chien. Elle a une case qui manque où alors elle cherche un sexfriend ? Je tente de m’approcher mais le boss me lance un regard noir. Je ne vais pas pouvoir lui demander un service citoyen. Dommage. Le soleil est à son zénith, j’aperçois un mini drone et me prends un frisbee dans la tronche, c’est la voisine. Elle me chauffe ou quoi ? Le boss est occupé, je le ramasse, me place derrière un sapin et l’interroge du regard. Elle me fait signe de communiquer avec le drone. Quel amateur ! J’avais rien compris ! J’étais focalisé sur la jeune blonde à forte poitrine. C’est mon contact. L’agent L. J’en profite pour mimer la descente dans les égouts et l’empoisonnement de l’eau. J’espère qu’ils jouent tous au Pictionary, les petits gars derrière leurs écrans ! Le boss me siffle, j’y retourne. J’en oublie de parler de l’autre équipe. La voisine ramasse son chiwawa et éclate de rire. Heureusement que je ne suis pas dans son équipe ! Moi, je suis le petit gars du 13, embarqué dans de drôles de missions.
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